PROGRES et RENOUVEAU

Mieux vivre à Rosières

   Pauvres sorcières

En 1612, trois personnes à Rosières furent accusées de sorcellerie: Blaison Jeannette, 54 ans, veuve de François Legris,Dur Isabeau,60 ans, veuve de Jean Dur, et Parisot François, 71 ans, manouvrier –vigneron.Toutes trois furent torturées, condamnées et brûlées. Nous restituons ci-dessous les minutes du procès du dernier, d'après M.Noirciere, Revue Lorraine Populaire*, grâce aussi à l'aide particulière de M.Jacques Roehrig*, à qui nous devons la plupart des renseignements et commentaires qui suivent.

Le culte du démon, par Jacques Callot et le sabbat, la "messe du diable", vue par Goya

L’accusation

Information faite ce jour, 3 juillet 1612, par devant nous Prévôt et gens de justice de Rosières à l'encontre de Parisot François, pour crime de sortilège et d'empoisonnement, suite à l'accusation d'Isabeau veuve de Jean Dur, brûlée pour le même crime.

Les 12 témoins sont de Rosières:

1 - Claude Dombrot, 50 ans, lui reproche sa réputation de sorcier et quelques menus larcins.

2 - Clémente, femme à Aubry Le Clerc, 60 ans, dit qu'en passant avec sa vache devant l'accusé, celle-ci tomba par terre et mourut sur le champ et qu'il a aussi une réputation de sorcier.

3 - Aubry Le Clerc, son mari, confirme.

4 - Marguerite Villemin Conta, 40 ans, dit qu'elle a eu une vache noyée avec 5 chevaux (en traversant la rivière à  gué) et qu'il n'a rien fait pour l'aider parce qu'ils avaient un jour refusé de lui vendre du blé et qu'il a aussi une réputation de sorcier.

5 - Villemin Conta, son mari, confirme.

6 - Jean Collin ,50 ans, dit que l'accusé est un sorcier, que ses propres enfants l'appellent ainsi, que c'est à cause de lui qu'il a perdu un fils noyé il y a 14 mois, avec 5 chevaux, en passant à gué.

7 - Marguerite Collin, femme du précédent,confirme.

8 - Jean Monin, 50 ans, dit que le bruit court qu'il est sorcier depuis 18 ans, qu'il a été chassé de Tonnoy pour cette raison il y a 20 ans, et que ses propres filles l'appellent " guenoche" (=sorcier).

9 - Jeanne, femme à Adrian Sylvestre du dit Rosières, raconte qu'elle n'a rien contre lui comme sorcier mais qu'il lui a dérobé une bèche il y a 12 ans..

10 - Beatry, Veuve de feu Clément Berger du dit Rosières, agée de 50 ans, raconte qu'un jour à Pâques, au lieu dit Xoudailles, il lui a demandé l'aumône..qu'il était accompagné d'une jeune fille, qu'elle a fait l'aumône à la jeune fille mais pas à lui, qu'il s'est alors mis en colère et a dit qu'avant trois jours, elle serait malade, et qu'elle n'est toujours pas "présentement guérie, souffrant grands tourments et ne pouvant travailler", que le bruit court qu'il est sorcier. 

11 - Mangeon, femme à Claudin Choné 50 ans, dit qu'un de ses chevaux étant tombé malade, elle demanda à l'accusé de lui donner à boire, qu'il s'occupa de la bête huit jours, et que, malgré celà, la bête mourut; qu'elle pense que cela est en rapport avec le bruit qui court qu'il est un sorcier...

12 - Didier Simonin, vigneron du dit Rosières, agé de 30 ans ou environ... "a dict et déposé que le dict Parisot est de mauvaise réputation d'estre sorcier",  qu'il ne sait rien d'autre sinon qu'un jour qu'il allait chercher du bois à Landéchamps avec Jean Mosnin, il l'a vu dans les vignes "tout nud,sans qu'il y ait personne proche de luy, couché le ventre dessous" alors qu'il faisait " bien frais". Et telle est sa déposition ».          lu et retranscrit par H. Nardin

"Ce jourd'huy 3^ème jour de juillet 1612, nous prévost et gens de justice de Rosières, nous sommes argumentés en la chambre de la maison de ville et avons fait amener par devant nous Parisot François... A dit s'appeler Parisot François, agé d’environ 72 ans, natif de Damas-aux-Bois, (Vosges), marié depuis environ 40 ans avec Allizon, sa femme encore vivante et de laquelle il a eu 8 enfants, quatre morts et quatre encore vivants."

Il récuse les accusations. Pour la vigne, il se met à rire, disant qu'effectivement il y était, qu'il a enlevé sa chemise et s'est deshabillé tout nu en demandant simplement à sa femme de chercher et enlever la vermine qui s'y trouvait.

Le 6 juillet, on le fait sortir à nouveau de prison, pour assister au recolement (= lecture des dépositions) et à la confrontation des « tesmoings ouis contre luy » . Les témoins persistent dans leurs dépositions. On verra plus loin que dans le cas contraire, ils risquaient eux-mêmes d'être poursuivis...  

Le procureur « maintient, luy procureur qu'ice­luy prévenu est tellement chargé qu'il ne reste pour l'en convaincre que d'en tirer la confession de sa bouche", que, pour y parvenir, il consent " à ce qu'il soit mis et appliqué à la question ordinaire et extraordinaire**, pour, pendant les tourments estre interrogé, pressé et contrainct de confesser la vérité... » ; Suit la signature C.M,Remy**.        

Les maîtres échevins, eu égard à son âge, disent que la question doit lui être appliquée "médiocrement" "pour le destirer" (supplice de l'échelle**).

Nous « l'avons admonesté de nous desclarer et descouvrir la vérité des faicts résultants contre luy par le présent procès. A persisté a ses dénégations. Sur lesquelles avons ordonné à Christophe Godin exécuteur de justice de lui donner les gresillons** aux pouces.

Il dit, pendant la torture, sur son âme "qu’il est gens de bien et qu'il n'est (pas) sorcier", persiste après:" damné soit mon âme si je suis sorcier".

On lui met les grésillons aux orteils:  Il "a dict: je ne fus jamais sorcier".

Le bourreau lui ayant dit que Jeanne Blaison (une autre accusée de Rosières, qui sera brûlée peu après) a donné des renseignements contre lui, qu'il doit tout avouer, il dit ne l'avoir jamais vue au sabbat **(lieux de rencontre des sorciers avec Satan, où ils font la fête et dansent toute la nuit)  pour une bonne et simple raison:"pour ny avoir esté, ny estre sorcier".

On lui ôte les grésillons, et on le fait monter sur l'échelle en le menaçant " de toute la rigueur de la question"."Vous vous damnerez" répond t'il..

"L'avons faict destirer **(étiré) d'ung quart de tour"

" damnée soit mon âme si jamais je le fus(sorcier)" crie t-il..

Destiré d'un autre quart de tour,il persiste..

Malgré son grand âge, le bourreau estime qu'il peut en subir plus: "L'avons derechef faict estendre sur l'échelle et destirer d'ung demy tour.

A dict: Mort D..., je ne suis(pas) sorcier (Mort Dieu !). A esté destiré derechef d'un quart de tour(supplémentaire).

A dict:" laché moy, je vous dirai la vérité."

Pressé de la dire avant que de le lacher (libérer),(il) a dict ventre de D..., je suis sorcier depuis six ans. Et puis se corrigeant, après avoir dict deux ou trois fois depuis six ans, a dict y avoir dix ans. (qu'il y avait dix déja).

En quel lieu Lemeny (autre nom de Satan, de même que Persin) s'apparut à luy pour la première fois ?

"A dict que ce fut à l'étang Collotte", que Satan (sous le nom de Maistre Nicolas) lui a promis qu'il serait heureux s'il lui donnait son âme,etc.., l'accusé " nous priant de le laisser en repos et que celà faict (fait), il nous dirait la vérité ".

A peine libéré, il clame de nouveau son innocence, disant "damné soit son âme s'il estoit sorcier.

Pourquoi donc il nous la confessé (il nous l'a confessé) présentement ?

A dict: pour estre deslivré de la peur de la question.

Menacé de luy faire subir d'autres tourments de question plus viollant, a dict: "je suis donc sorcier par ma foi.

Requis sy ce qu'il nous a donc dict estoit véritable ? (il) a dict" nenny".

Voyant lesquelles dénégations et variations et que ses forces pouvaient encor endurer beaucoup de tourment, luy avons faict donner ung tour de tortillons** ce pendant et pressé de dire la vérité. A dict: laissez moi, je la diray.

Et l'ayant faict amener auprès du feu et le chauffé (torture au feu), l'avons requis s'il est vray qu'il soit sorcier ?

A dict qu'ouy(a dit que oui) et avoir esté séduit... et que son maistre s'appelle vraiment Persin et non Maistre Nicolas. Et que quand il fut desceu (déçu), Didier Poignant y estoit, fauchant avec luy... Que le dict Maistre Persin luy donna un cornet et luy fit entendre que cestoit argent... (le diable lui a donné de l'argent).

Sy son maistre (on lui demande si son maître... ..) luy donna de la pouldre et quel effect ?

A dict: qu'il luy en donna deux cornets, l'une noire et l'autre blanche ; la noire pour faire mourir et la blanche pour reguérir.

Interrogé ce qu'il a faict de la pouldre et s’il ne la esprouvé ? (s'il l'a essayée ?).

 A dict l'avoir esprouvé sur la vache d'Aubry Le Clerc en harguant de ce que les enfants de luy qui respond, avoient heu querelle (avaient eu une querelle) avec luy. Et depuis, se corrigeant (se reprenant) a dict n'avoir jamai faict esprouver de la ditte pouldre, l’avoir jetté au champ avant que d'arriver à la ville.

Remonstré qu'il se parjure et qu'il y a grande apparence qu’il en a tiré des effects, estant qu'il advise de les déclarer.

A dict que non par sa foi... (Il réfute toutes les précédentes accusations: animaux qu'il a fait nourir ou maladie de Béatrice).

Sy au moyen d'icelle (est-ce au moyen de cette poudre que...), le dict Maitre Persin a faict noyer les chevaulx de Villemin Contà, avec le garçon qui les conduisoit, passant le guei de la Blaichenotte ?

A dict: "Hélas, messire, au dit lieu, heu mille chevaulx et mille chevaulx, ils fussent tous perrits, passant au dict guei, à cause de la haulteur des eaux."(il aurait eu mille et mille chevaux, à cet endroit, ils seraient tous morts noyés, du fait de la hauteur des eaux à cet endroit...)

S'il na faict mourir ung cheval appartenant à la veuve Estienne Perrin ?A dict: hélas, nenny.

S'il n'a aussy par ses maléfices donné une maladie à Béatrice, servante à Xoudaille , de laquelle elle n'est encor guérie ?

A dict je ne luy ay donné non plus que vous. (je ne lui ai pas plus donné que vous! )

Requis combien de fois il a esté au sabbat ?

A dict: messires, contentez vous (= répondez ce qui vous plaira..)

Requis quy sont ceulx qui ont esté avec luy au sabbat et où a esté leur convocation ?

N'a voulu dire autre chose sinon: Que ne suis-je noyé !...

Ne pouvant tirer autres paroles de luy « et estant fort tard » il est remis en prison.

Une nouvelle fois, le 17 juillet, adjuré de répondre... "A dict estre homme de bien, que ce qu'il nous a confessé précédemment était de crainte que ne le fassions mettre à la question..."

 On renvoie alors toute cette procédure à Nancy avec l'extrait d'Isabeau exécutée le 23 juin et celui de Jeannotte Blaison encore en prison (qui sera, elle,brûlée le ler août). Le procureur le 20 juillet le condamne à mort mais les maîtres échevins décident d'appliquer une nouvelle fois à la question à cause de ses rétractations.

photos de tortures pratiquées ou page du document de l’époque

Pour les personnes intéréssées par l'intégralité du document, cliquer ici

  l'échelle: on étire le condamné horizontalement et l'estrapade: étirement vertical, avec des poids de 30 kg à chaque jambe!

  * Jacques Roehrig*, son extraordinaire livre sur la sorcellerie en Lorraine:"A mort, la sorcière" , 2007, Editions la Nuée Bleue. Il a accepté de nous fournir l'origine de ses renseignements sur les personnes persécutées à Rosières; qu'il en soit particulièrement remercié..

* Revue Populaire de Lorraine N°32 de février 1980 et 34 de juin 1980 (nos remerciements à JM Cuny); la traduction faite est de M.Noircière qui a légèrement modifié l'orthographe, ajoutant la ponctuation (inexistante).

et aux Archives départementales, les manuscrits 8550 et 8551, série B

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